Vendredi soir, le 13 novembre donc, aux alentours de 20h, au cours d’une séance de yoga nidra, j’ai lu un extrait du journal d’Etty Hillesum (publié sous le titre : « Une vie bouleversée » éd. Points Seuil, p. 239-240).

Etty nous invite à reconnaître et à proclamer que « la vie est belle », à regarder toutes les souffrances en face et à ressentir l’amour de nos semblables.

Tous. Et quelques soient les circonstances.

J’ai eu envie de partager plus largement ce texte car il résonne avec ce qui s’est passé à Paris, vendredi soir.

Bonne lecture ou bonne écoute.

« Jeudi 8 octobre, après-midi. Je suis malade, je n’y peux rien. Guérie, j’irai recueillir là-bas toutes les larmes et toutes les terreurs. D’ailleurs je le fais déjà ici même, du fond de mon lit. C’est peut-être la vraie raison de mes vertiges et de ma fièvre ? Je ne veux pas me faire le chroniqueur d’atrocités. Ni de sensations violentes. Je disais ce matin même à Jopie : « Et pourtant j’en reviens toujours à la même idée : la vie est belle. » Et je crois en Dieu. Et je veux me planter au beau milieu de ce que les gens appellent des « atrocités » et dire et répéter : « la vie est belle ». Mais pour l’instant me voilà dans mon coin, fiévreuse et prise de vertiges, et incapable de faire quoi que ce soit. Je viens de m’éveiller la bouche sèche, j’ai tendu la main vers mon verre et cette gorgée d’eau m’a emplie de gratitude, et j’ai pensé : « Si seulement je pouvais circuler là-bas pour donner une gorgée d’eau à quelques-uns de ces malheureux entassés par milliers ! » J’ai toujours la même réaction : « Allons, ce n’est pas si grave, calme-toi, ce n’est pas si grave, reste calme. » Chaque fois qu’une femme, ou une enfant affamé, éclatait en sanglots devant l’un de nos bureaux d’enregistrement, je m’approchais et je me tenais là, protectrice, les bras croisés, souriante, et en moi-même je m’adressais à cette créature tassée sur elle-même et désemparée : « Allons, ce n’est pas si grave, ce n’est pas si terrible. » Et je restais là, j’offrais ma présence, que pouvait-on faire d’autre ? Parfois, je m’asseyais à côté de quelqu’un, je passais un bras autour de son épaule, je ne parlais pas beaucoup, je regardais les visages. Rien ne m’était étranger, aucune manifestation de souffrance humaine. Tout me semblait familier, j’avais l’impression de tout connaitre d’avance et d’avoir déjà vécu cela une fois dans le passé. Certains me disaient : mais tu as donc des nerfs d’acier pour tenir le coup aussi bien ? Je ne crois pas du tout avoir des nerfs d’acier, j’ai plutôt les nerfs à fleurs de peau, mais c’est un fait, je « tiens le coup ». J’ose regarder chaque souffrance au fond des yeux, la souffrance ne me fait pas peur. Et à la fin de la journée j’éprouvais toujours le même sentiment, l’amour de mes semblables. Je ne ressentais aucune amertume devant les souffrances qu’on leur infligeait, seulement de l’amour pour eux, pour leur façon de les endurer, si peu préparés qu’ils fussent à endurer quoi que ce fut. »